Le coup de cœur de la semaine
Pour cette semaine du 07 juin 2017 nous ne serions trop vous recommander d’avoir la curiosité de venir découvrir le second film des géorgiens Nana Ekvtimishvili & Simon Groß : « Une famille heureuse ».
Encore une très belle occasion de constater que le cinéma est un fabuleux medium pour prendre le pouls de nos sociétés contemporaines grâce aux regards d’auteurs qui font souvent preuve d’une rare acuité même quand ils le font par le prisme de la fiction.
Synopsis
Professeure dans un lycée de Tbilissi, Manana est mariée depuis 25 ans à Soso. Ensemble, ils partagent leur appartement avec les parents de Manana, leurs deux enfants et leur gendre. Une famille en apparence heureuse et soudée jusqu’à ce qu’à la surprise de tous, Manana annonce au soir de son 52ème, anniversaire sa décision de quitter le domicile conjugal pour s’installer seule.
Équipe artistique
- Réalisation : Nana Ekvtimishvili, Simon Gross
- Scénario : Nana Ekvtimishvili
- Interprètes : Ia Shugliashvili, Merab Ninidze, Berta Khapava
Entretien avec les réalisateurs Nana Ekvtimishvili & Simon Gross
Comment est né UNE FAMILLE HEUREUSE ?
Nana : J’ai grandi en Géorgie, du coup le film se nourrit de mon expérience. J’ai toujours été étonnée de voir ma mère consacrer son existence entière à sa famille. Elle a toujours fait passer ses enfants, son mari et ses proches avant tout le reste, y compris sa vie personnelle et son travail. Elle nous a tout sacrifié et elle continue de le faire. D’une certaine manière, ma mère a grandi avec nous, et nous avons eu un jour l’heureuse surprise de découvrir qu’elle avait commencé à prendre des cours de piano et qu’il lui arrivait même de jouer à la maison des morceaux parmi les plus faciles de Mozart. J’ai vraiment l’impression de parallèles entre mon vécu et ce film. Simon : Moi j’ai grandi en Allemagne, et pourtant j’ai aussi l’impression qu’il y a des choses en commun entre mon enfance et le film. Mes parents ont divorcé quand j’avais 9 ans. C’était au milieu des années 80 à Berlin-Ouest, une époque et une ville où le mouvement de libération de la femme hérité de 1968 était encore très présent. Mon père a continué à s’occuper de ma sœur et moi, et pourtant c’ était ma mère qui était en charge de la marche quotidienne de nos vies. Elle vivait principalement pour nous, ses enfants, et d’ailleurs elle ne s’est jamais remariée.
Le film parle aussi de la société contemporaine géorgienne …
Simon : En tant que cinéastes, nous cherchons avant tout à trouver la meilleure histoire à raconter. Ce n’est qu’une fois le film terminé que nous avons suffisamment de recul pour pouvoir l’appréhender complètement et comprendre ce qu’il peut éventuellement signifier en plus. En l’occurrence, nous n’avons jamais eu l’ambition de faire le portrait d’un pays, mais c’est possible de percevoir en Manana une certaine idée de a femme géorgienne d’aujourd’hui.
Vous ne jugez pas vos personnages. L’objectivité et la bienveillance sont-elles constitutives de votre manière de raconter une histoire ?
Simon : Il existe toujours une part de subjectivité dans nos jugements, même quand nous les pensons les plus objectifs possibles. C’est pourquoi, au lieu de juger chacun de nos personnages, nous essayons de tous les aimer du mieux que nous pouvons.
Tout au long du film, la ville de Tbilissi se rappelle aux spectateurs au point de devenir un personnage à elle seule …
Simon: Cela était primordial pour nous. Il n’y a jamais de hasard dans le choix d’une ville où se déroule un film. Nous avons passé beaucoup de temps en amont du tournage à chercher les lieux qui conviendraient le mieux à nos personnages. Il est important que le public ait l’impression que ceux-ci vivent réellement là où ils évoluent, qu’ils y aient un quotidien bien établi.
La nature a aussi sa place dans la ville et dans le film : les oiseaux qui volent dans la rue, le vent qui souffle à travers les arbres, le soleil qui entre par la fenêtre … Est-ce aussi une manière de représenter à l’écran l’humeur de Manana, d’une femme qui veut juste vivre seule et en paix?
Nana: Oui. Tous les sons ont leur importance. Ce sont autant de moyens de transcrire l’humeur des personnages. Manana est comme un nouveau-né dans sa nouvelle vie, du coup elle redécouvre le monde qui l’entoure et dans lequel elle évolue.
La musique et les chansons populaires géorgiennes sont complètement intégrées au récit. Comment les avez-vous choisies?
Nana : Elles étaient déjà là au stade de l’écriture. Quand nous construisons nos personnages, nous essayons de nous mettre à leur place, de savoir ce qu’ils ressentent, ce qu’ils aiment. La musique peut ainsi aider à forger l’identité d’un personnage. Cela dépend du style de musique qu’il écoutera ou peut-être n’en écoutera-t-il pas du tout.
Simon : En l’occurrence, nous n’avons pas de musique spécialement écrite pour le film. Nous n’aimons pas en ajouter au montage, cela nous paraît superflu. Ce que vous entendez, ce sont seulement les musiques et les chansons que nos personnages écoutent ou chantent eux-mêmes. Tout vient directement du film lui-même.
Vous réalisez vos films à quatre mains. Comment répartissez-vous le travail entre vous?
Nana : Nous faisons tout ensemble au point que j’ai parfois l’impression que nous sommes une seule personne qui aurait deux cerveaux, quatre yeux et quatre oreilles. Nous partageons la même vision et la même approche que ce soit pendant l’écriture ou le tournage. Sur le plateau, nous sommes toujours côte-à-côte, nous sommes complètement synchronisés.
Comment avez-vous choisi la Shugliashvili qui interprète le rôle de Manana avec autant de force que de douceur ?
Simon: Nous avons commencé le casting plus d’un an avant le tournage. Ia a été une des premières comédiennes que nous avons rencontrée et elle nous a immédiatement frappés par sa force et son naturel que ce soit pendant les lectures ou devant la caméra. Et même si nous ne souhaitions pas prendre notre décision aussi tôt, elle s’est imposée à nous comme une évidence. Au fil de nos rencontres, nous avions vraiment le sentiment qu’elle était chaque fois un peu plus liée à Manana.

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